TENSION SOCIALE A LA SOSUCAM
Les villes sucrières de Nkoteng et Mbandjock dans le département de la Haute-Sanaga de la région du Centre ont été dans la journée du mardi 4 février 2025, le théâtre des émeutes sanglantes à la suite du déploiement des Forces de Maintien de l’Ordre appuyé par des engins de répression. Plongeant les deux villes dans un état de siège qui a viré à l’intifada. Le Gouverneur de la région du Centre a donné un point de presse mercredi 05 février 2025 pour rappeler que le calme est revenu et communiqué sur le bilan officiel.

Le Gouverneur de la Région du Centre, Naseri Paul Béa, a lors d’un point de presse donné dans ses services le mercredi 5 février 2025 dressé un bilan des émeutes sanglantes, qui ont embrasé les villes de Nkoteng et Mbandjock, épicentre des exploitations agricoles de la SOSUCAM, unique productrice nationale du sucre. Selon le bilan officiel, il a été enregistré la mort d’un ouvrier qui aurait été abattu par un policier alors qu’il voulait le découper à la machette, d’un blessé parmi les civils, et de dix (10) blessés parmi les Forces de Maintien de l’Ordre, dont deux (02) cas graves qui ont été transférés dans l’un des hôpitaux de référence de Yaoundé pour une meilleure prise en charge. A cela, il faut ajouter 150 hectares de plantations de canne à sucre qui ont été brûlés, des services publics vandalisés. Une situation qui a contraint à la fermeture des écoles et commerces. Toutefois, il a annoncé que des mesures avaient été prises pour ramener le calme, notamment la fermeture des débits de boissons. Et des échos de ces deux villes confirment que le calme est revenu depuis la journée de mercredi à la suite des réunions de concertations multipliées par les autorités administratives, les Maires et les autorités traditionnelles avec les responsables de SOSUCAM et les représentants des syndicats des travailleurs.
L’embrasement est parti des manifestations provoquées par les employés de la SOSUCAM, qui déploraient la rupture du dialogue sociale avec le nouveau Top management conduit depuis la mi-janvier 2025 par le Français Jean-Louis Liscio, nouveau Directeur général de SOSUCAM qui remplace à ce poste Jean-Pierre Champeaux démissionnaire. Même le retour d’un Camerounais dans le staff dirigeant, en la personne Jean-François Ntsama-Etoundi, au poste de DGA n’a pas atténué le climat de tension social qui ne cessait de monter chaque jour depuis la fin du mois de janvier. Les employés dénonçaient certaines pratiques managériales de la Direction de l’entreprise, notamment le retard dans le paiement des quinzaines. En effet, selon des sources syndicales, le 27 janvier 2025, environ 2 500 travailleurs saisonniers du site d’exploitation de Mbandjock se mettent en grève pour protester contre le retard de paiement et les conditions de travail précaires. Après trois (3) jours de grève sans suite, les tensions franchissent le rubicond et les travailleurs saisonniers du site d’exploitation de Nkoteng emboitent le pas à leurs collègues de la ville de Mbandjock.

Avant l’éruption tous les voyants étaient au rouge
Il s’agit alors d’environ 6 000 travailleurs saisonniers qui entre ainsi en grève depuis la matinée du 30 janvier 2025. Ils dénoncent premièrement la décision unilatérale de la Direction Générale de la SOSUCAM de réduire leurs échelons depuis le lancement en novembre de la campagne agricole 2023-2024. Ceci sans aucune explication concrète. Pourtant, Ils avaient l’espoir de voir ajustéà la hausse ces échelons au cours de ladite campagne. Un espoir qui va s’évanouir. Alors que la grogne est déjà sourde, la Direction Générale va à nouveau modifier les jours de paie. Comme si cela ne suffisait pas, les avances sur salaire qui se prenaient le 20, et les salaires (mensualités) qui étaient payés le 05 de chaque mois va connaitre une élasticité. C’est ainsi que depuis le début de la campagne 2023-2024, ce système de rémunération a été modifié sans avoir entretenu aucun dialogue social avec les délégués du personnel. Notamment pour les glissements de date des avances sur salaire qui passeront désormais à la date du 25 du mois et le paiement des mensualités (pour le solde des salaires) qui est reporté au 10 du mois pour les manœuvres agricoles et le 15 du mois pour le personnel d'usine.
La goutte d’eau de trop sera le non-respect de ces jours de paiement imposés aux travailleurs. Ainsi jusqu'au 26 janvier, les travailleurs saisonniers qui espèrent obtenir leur avance sur salaire du mois de janvier seront désillusionnés. Exaspéré par cette manœuvre qui va allégrement au gel d’un mois de salaire va déclencher véritablement dès le 27 janvier un arrêt de travail dès 04H 30min à l’usine de Mbandjock. Le refus de la Direction générale à engager immédiatement des pourparlers avec les portes-paroles des travailleurs saisonniers a envenimé la situation et entrainé l’entrée en scène des travailleurs du site de Nkoteng. C’est ainsi que face à cette situation, la Direction Générale décide finalement de réagir en publiant un communiqué alambique, signé du Directeur Général Adjoint, qui affirmait avoir trouvé une sortie de crise avec les syndicats de la SOSUCAM. Pour le président du syndicat des travailleurs saisonniers de la filière canne à sucre (STRASCAS), les travailleurs saisonniers ne se reconnaissent pas dans ce communiqué. « Ces résolutions ne nous conviennent qu'à moins de 15%, et nous ne savons pas de quelle réunion parle le DGA dans son communiqué ». C’est cette manœuvre dolosive qui va faire embrasser le climat social déjà très tendu le 04 février 2025.

Des conditions de travail frisant l'esclavagisme
Les principales revendications des travailleurs saisonniers sont les suivantes : -- L’ajustement immédiat des catégories et échelons des travailleurs conformément à ce qui existait avant la campagne 2023-2024 ; - L’adoption d’une grille salariale tenant en compte les avancements automatiques ; - Le retour du système de paie automatique du 05 et du 20 de chaque mois. Malgré ces émeutes meurtrières, les travailleurs saisonniers restent convaincus que des solutions durables et consensuelles pourront être trouvée si la Direction Générale engage sous la supervision des autorités de la République un dialogue sociale franc. « Le personnel employé a des droits et qui sont encadrés par la réglementation en vigueur. Ces droits doivent être respecté par les administrateurs de la société. C'est un principe cartésien qui ne saurait faire l'objet d'une quelconque manipulation », a déclaré Simo Mambou, cadre de la CSAC. Et de poursuivre : « Nous demandons aux autorités compétentes de prendre des mesures immédiates pour rétablir l'ordre et la sécurité sur le site, et d'entrer en concertation avec les différentes parties prenantes en vue de trouver une solution pérenne et à l'instauration d'une relation de confiance entre les employés et les employeurs qui garantissent la stabilité du climat social. Nous rappelons que toutes divergences au sein d'une corporation doit se régler par des mesures pacifiques et dans un climat d'apaisement et de compréhension mutuelle ». Cette situation préoccupe aussi la député européenne, Marine Mesure, Commissaire INTA a saisi le Commissaire chargé du Commerce et de la Sécurité Economique à la Commission Européenne pour réclamer que le Groupe français SOMDIAA de respecter les Droits de l’Homme dans le cadre de ses relations avec le Cameroun.
La Société Sucrière du Cameroun (SOSUCAM), filiale à 74% de SOMDIAA dont le Groupe Castel est actionnaire majoritaire qui exploite 24 694 hectares de cannes à sucre dans les arrondissements de Mbandjock, Nkoteng et Lembe-Yezoum du département de la Haute-Sanaga, région du Centre. Elle fait partie des plus grands employeurs au Cameroun. La culture de la canne à sucre et sa transformation sont ses activités principales. La SOSUCAM créée en 1965 revendique 8 000 emplois directs et indirects pour une masse salariale annuelle de 14 milliards de FCFA. Seuls près de 800 personnes sont employées de manière permanente au sein de l‘entreprise. Plus de 90% de la main d’œuvre est donc temporaire, avec pour la plupart des contrats saisonniers essentiellement, ou journaliers. Ils sont recrutés majoritairement dans la direction de l’exploitation agricole en tant que planteurs, glaneurs ou coupeurs, selon la phase de la saison, ou encore pour s’occuper de l’épandage des produits phytosanitaires. D’autres saisonniers sont recrutés au transport des récoltes mais aussi à l’usine pour les tâches de manutention et d’empaquetage. Malgré la vulnérabilité de leur emploi, ils ne bénéficient ni de sécurité de l’emploi, ni moins bonnes conditions de travail, ni des salaires décents, ni aucune couverture maladie. Pourtant de par la nature de leurs activités, la SOSUCAM expose ses travailleurs à une multitude de risques. Malgré cet environnement austère pour les travailleurs, la SOSUCAM revendique une production annuelle oscillant entre 100 et 130 000 tonnes de sucre, pour un chiffre d’affaires moyen d’environ 60 milliards de FCFA sur une demande nationale avoisinant officiellement 300 000 tonnes. Ce qui contraint le pays à importer pour combler le gap pour près de 43 milliards de FCFA, contribuant ainsi à creuser le déficit de la balance commerciale du pays.
Mathieu Nathanaël NJOG
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Article publié dans le journal Le Canard Libéré du Cameroun
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